Vaudeville en 1 acte pour 4 personnes
De Eric Fernandez Léger
Préface
Du rire comme miroir social
Le vaudeville, genre théâtral souvent relégué au second plan des études académiques au profit de formes dramatiques plus « nobles », trouve dans « Un mot de trop » une incarnation exemplaire de sa vitalité et de sa pertinence contemporaine. Cette pièce en un acte, par son rythme effréné, ses quiproquos jubilatoires et sa galerie de personnages hauts en couleur, ne se contente pas de divertir ; elle offre une lecture incisive des angoisses et des aspirations de l’individu moderne, prises au piège des conventions sociales et des impératifs économiques.
Dès le lever de rideau, nous sommes plongés dans le chaos maîtrisé qui caractérise le genre. Jacques Fléchard, décorateur d’intérieur dont la vie est sur le point de s’écrouler sous le poids d’un mensonge immobilier, est le parfait héros vaudevillesque. Sa quête du prêt bancaire n’est qu’un prétexte à l’engrenage comique : une série de stratagèmes désespérés qui révèlent sa maladresse et son incapacité à naviguer les complexités de la vie adulte sans artifice. Jacques incarne l’archétype de l’homme dépassé, dont l’ingéniosité se retourne contre lui, non pas par malice, mais par une incapacité fondamentale à faire face à la réalité sans fard.
Face à lui, Édith Maupin se révèle être la véritable force motrice de la pièce. Incarnation de la comédienne ratée mais toujours prête à l’improvisation, elle est la figure de l’artiste dans le vaudeville, celle qui, par son génie de la réplique et son sens inné du spectacle, transforme la catastrophe imminente en une performance absurde. Édith, par sa vivacité et son acuité, met en lumière la dimension performative de nos existences. Dans un monde où l’apparence prime, elle excelle à construire des récits, même les plus farfelus, pour s’adapter aux exigences extérieures. Son personnage questionne la frontière entre la réalité et la fiction, suggérant que nos vies sont elles-mêmes des pièces de théâtre où chacun joue un rôle.
L’Inspecteur Rondeau, quant à lui, est une figure de l’autorité détournée. Loin du stéréotype du représentant de la loi austère, ses « lubies botaniques » le transforment en une source d’absurdité réjouissante. Son obsession pour les orchidées, élément apparemment trivial, devient le pivot inattendu du dénouement, soulignant la critique sous-jacente des priorités sociétales. Ce n’est pas la moralité ou la solidité du couple qui intéresse réellement l’inspecteur, mais la singularité d’une plante. Cette inversion des valeurs, où l’esthétique et la rareté l’emportent sur la véracité des faits, est une caractéristique du vaudeville qui, sous le couvert de la légèreté, épingle les hypocrisies et les superficialités de son époque.
Enfin, la Madame Foucher, voisine commère et source involontaire de catastrophes, ainsi que la Voix d’Hélène (OFF), l’ex omniprésente par son absence, complètent cette galerie de personnages. Ils représentent les forces perturbatrices du monde extérieur qui viennent constamment dérailler les tentatives des protagonistes pour maintenir une façade. Madame Foucher incarne le regard social, souvent malveillant mais toujours présent, tandis qu’Hélène symbolise le passé encombrant et l’incapacité à rompre définitivement avec certaines attaches.
« Un mot de trop » est ainsi bien plus qu’une simple succession de gags. Le titre lui-même, « Un mot de trop », est emblématique du vaudeville : il souligne la fragilité du mensonge et la capacité d’un simple détail, d’une réplique mal placée, à faire basculer l’ensemble de l’édifice comique. La pièce met en scène une société où la réputation et le crédit (au sens propre comme figuré) sont des constructions précaires, des illusions maintenues à grand-peine. Le décor, « modeste mais récemment ‘réaménagé’ à la va-vite », est à l’image de la vie de Jacques : une façade instable derrière laquelle se cache un désordre imminent.
En définitive, « Un mot de trop » s’inscrit dans la tradition du vaudeville tout en le rafraîchissant. Il célèbre l’ingéniosité de l’improvisation face à l’adversité, le pouvoir du rire face à la bureaucratie, et la capacité humaine à se réinventer, même maladroitement. C’est une pièce qui, par sa légèreté apparente, invite à une réflexion plus profonde sur les masques que nous portons, les rôles que nous jouons et la comédie involontaire de nos existences.
L’intrigue
Dans « Un mot de trop », Jacques Fléchard, un décorateur d’intérieur dépassé, se retrouve dans une situation épineuse. Pour obtenir un prêt professionnel crucial, il invente une vie de couple stable pour l’inspecteur de banque. Le hic ? L’inspecteur, un méticuleux mais excentrique passionné de botanique, arrive avec des heures d’avance, plongeant Jacques dans une recherche frénétique d’une fausse épouse !
Entre en scène Édith Maupin, sa voisine comédienne, vive et spirituelle, qui, contre une somme conséquente (et incertaine), accepte de jouer le rôle de sa femme aimante. Leur « rencontre » improvisée et leur « passion » commune pour les orchidées — un détail que Jacques tire du dossier de l’inspecteur — préparent le terrain pour une hilarante marche sur le fil du mensonge.
Alors qu’ils semblent convaincre l’Inspecteur Rondeau, à l’œil perçant, l’arrivée de Madame Foucher, une voisine fouineuse avec un penchant pour les vérités inopportunes, et un message vocal parfaitement chronométré de l’ex-fiancée de Jacques, Hélène, menacent de révéler sa mascarade élaborée.