Comédie dramatique en 5 actes
De Eric Fernandez Léger
Préface
La pièce que le lecteur s’apprête à découvrir, Les Retouches du silence, est le fruit d’une réflexion approfondie sur la nature paradoxale de la visibilité et de l’invisibilité dans le champ de l’art. Elle explore les dynamiques complexes entre la création, la censure institutionnelle et la résilience d’une œuvre face aux impératifs d’une époque. L’écriture de cette comédie s’est nourrie d’une interrogation fondamentale : comment le silence, qu’il soit imposé ou choisi, peut-il devenir un langage en soi, capable de subvertir les normes établies et de révéler des vérités occultées ?
L’idée germinale de cette pièce est née d’une fascination pour les marges de l’histoire de l’art, ces zones où le non-dit et le non-vu détiennent une puissance narrative souvent supérieure à l’évidence des expositions. Le personnage central, « La Femme au rideau noir », est la métaphore de ces œuvres dont l’essence fut altérée, non par le temps, mais par la volonté humaine de contrôler le regard et, par extension, la pensée. Le « trouble » que ce tableau génère n’est pas seulement esthétique ; il est épistémologique. Il questionne notre rapport à la vérité historique et à l’authenticité artistique, invitant à une relecture critique des discours muséaux et des canons établis.
J’ai choisi le registre de la comédie pour aborder ces thèmes, non par légèreté, mais par conviction de sa pertinence subversive. L’humour, qu’il soit d’absurdité, de situation ou de caractère, agit ici comme un révélateur des paradoxes. Il permet de mettre en lumière la rigidité des protocoles institutionnels, l’aveuglement volontaire face à l’évidence et la dérision inhérente aux tentatives de contrôle total. Le rire devient ainsi une forme d’émancipation, une manière de désarmer la gravité des enjeux tout en les rendant plus accessibles et plus incisifs. Le décalage entre la solennité du cadre muséal et les interventions discrètes, presque fantomatiques, d’un personnage comme Étienne de la Virevolte, crée une tension comique qui invite le spectateur à une vigilance amusée.
Les personnages de Solène et Étienne incarnent deux facettes d’une même quête : l’une, par son obstination méthodique et son sens aigu de la justice esthétique, l’autre, par son élégance invisible et sa capacité à opérer en marge des conventions. Leur collaboration, faite de silences complices et de gestes mesurés, illustre l’idée que les révolutions les plus profondes ne sont pas toujours celles qui s’annoncent à grand fracas, mais celles qui s’insinuent avec discrétion et détermination. L’absence d’une signature, loin d’être un manque, devient un manifeste, une affirmation que l’art peut exister pour lui-même, au-delà de toute revendication personnelle.
Enfin, Les Retouches du silence est une invitation à reconsidérer notre propre regard. C’est une œuvre qui, je l’espère, incitera à chercher la vérité dans les plis et les non-dits, à apprécier la force des gestes feutrés et à sourire face à la permanence du beau, même quand il refuse de se conformer. Que cette comédie offre au lecteur le plaisir d’un trouble juste et la joie d’une découverte inattendue.
Eric Fernandez Léger
L’intrigue
Dans les profondeurs poussiéreuses du Musée Duret, la conservatrice adjointe Solène Garnier fait une découverte inattendue : un feuillet jaunien révélant l’existence d’une œuvre autrefois censurée, « La Femme au rideau noir ». Ce tableau, dont le regard jugé trop « frontal » fut intentionnellement voilé après-guerre, n’a jamais été réellement détruit, mais « redéfini » dans une zone d’ombre administrative.
Déterminée à percer ce mystère et à rendre sa dignité à l’œuvre, Solène sollicite l’aide d’Étienne de la Virevolte, un restaurateur d’art aux méthodes peu conventionnelles. Loin des protocoles établis, Étienne opère avec une discrétion élégante et une compréhension intime des « silences » de l’art. Ensemble, ils découvrent non seulement l’esquisse originale du tableau, mais aussi la trace d’une hésitation passée : celle de l’artiste Costère, qui refusa d’achever l’effacement, laissant le regard de la femme intact, comme un acte de résistance silencieux.
La pièce navigue entre les tentatives de l’institution muséale de maintenir l’ordre et l’anonymat, et la « réhabilitation » progressive de l’œuvre par des gestes invisibles. L’humour naît du décalage entre la solennité du cadre et la subversion discrète des protagonistes. Alors que le tableau retrouve sa « justesse », les réactions du public et des experts varient, allant de l’interrogation fascinée à l’agacement protocolaire. Le « trouble » s’installe, non comme un scandale, mais comme une énigme persistante.
Finalement, sans jamais être officiellement reconnu ni signé, le geste d’Étienne laisse une empreinte indélébile. La pièce se conclut sur l’acceptation progressive par le musée d’une œuvre sans nom, dont la force réside justement dans son mystère et dans la vérité qu’elle révèle à ceux qui savent regarder au-delà des apparences. C’est l’histoire d’un regard qui, par-delà les époques et les censures, trouve son chemin vers la lumière, porté par le courage silencieux de ceux qui osent remettre en question l’ordre établi.