Théâtre contemporain en 4 actes
De Eric Fernandez Léger
Préface
Écrire le soin n’est jamais un acte neutre. Le représenter encore moins. Car parler de ceux qui veillent — sans titre glorieux, sans bruit, sans miracle — exige une langue capable de contenir la complexité du geste invisible : cette main qui borde sans bruit, ce silence qui accompagne, ce regard qui soutient sans s’imposer. La pièce que vous vous apprêtez à lire — ou à entendre — est de celles qui n’illustrent pas le réel, mais qui l’ouvrent. Non pas pour mieux l’expliquer, mais pour en éclairer les plis, les voix basses, les tensions tues.
Dans cette partition à plusieurs voix, nul pathos, nulle posture démonstrative. Le théâtre s’y fait chambre sensible, cahier de veille, outil d’écoute. Les personnages — soignants, résidents, figures passantes — ne sont pas là pour édifier ou attendrir, mais pour porter haut une humanité travaillée par l’effort, la fatigue, l’attachement lucide. L’auteur y trace une ligne fragile mais persistante : celle d’une poésie qui ne détourne pas du monde, mais qui le traverse, en le rendant plus habitable.
Le travail qui suit s’inscrit dans une tradition rare : celle d’un théâtre à hauteur d’homme, qui emprunte au quotidien ses silences, ses éclats de rire, ses douleurs discrètes — et les transforme, non en symboles, mais en signes vivants, partageables. On y entend des voix que la scène oublie trop souvent : celles des femmes et des hommes qui tiennent les corps, réparent les absences, plient le linge comme on plie une promesse. On y perçoit des chœurs inattendus, dans des salles de pause, autour de biscuits mous, dans des gestes mille fois répétés et pourtant chaque fois premiers. Et surtout, on y découvre un style, une voix, une langue dramaturgique profondément contemporaine, qui n’oppose pas la poésie au réel mais les noue dans une même vibration.
Cette œuvre n’apporte pas de réponse. Elle donne forme aux questions que soulève la permanence : que reste-t-il de nous dans ce que nous donnons chaque jour ? Que faire de notre propre fatigue quand on est censé tenir celle des autres ? Où loge encore la joie quand tout semble s’éroder ?
Ce texte n’exhibe pas des “héros du soin”. Il les écoute — dans leurs contradictions, leurs doutes, leurs fragments de vérité. Il leur rend voix et souffle, sans les idéaliser ni les dissoudre. Et en le faisant, il nous engage, nous lecteurs, spectateurs, à une autre posture : non pas admirer, mais reconnaître. Non pas comprendre, mais ressentir. Et peut-être, ensuite, agir autrement.
Eric Fernandez Léger
L’intrigue
Et si le cœur du monde battait là, dans les gestes invisibles de ceux qui tiennent les autres debout ?
Dans les couloirs d’un établissement médico-social, ils veillent, soignent, plient, recousent l’oubli et rapiècent la dignité. Claire, Éléna, Lydia, Youssef et tant d’autres forment une communauté discrète — celle des présences pleines, des fatigues qui n’abdiquent pas, des silences qui soutiennent davantage que les mots.
Cette pièce chorale, à la langue profondément poétique et enracinée dans le réel, fait entendre l’écho fragile et puissant d’un monde qu’on regarde peu mais qui regarde toujours. Les chambres s’ouvrent une à une comme autant de scènes intimes, où l’humour sec, la tendresse cabossée, l’amour discret et la fatigue nue composent un théâtre d’humanité résistante.
Pas de héros ici. Juste des corps qui donnent. Des voix qui tiennent. Et une question posée en creux : comment continue-t-on à aimer, à soigner, à tenir debout — quand tout en soi voudrait se poser ?